Aller... et retour. Ou quand Pilou craque son slip. Pas courageux s'abstenir.
[vendredi 29 août]
A la faveur d’un voyage en train, comme souvent, je reprends l’écriture. Et cette fois, c’est pour de bon.
Par où commencer… vaste question, car il y a là près d’un an de vide à combler. Autre question : celle du style. J’ai perdu la main, il va sans dire, les mots ne jaillissent plus tout seuls comme avant. Mesdames et messieurs, la gare de Sélestat.
Ma nouvelle vie a commencé en octobre de l’an dernier : fini la vie de pendulaire, je suis enfin redevenu Strasbourgeois. Un nouveau Pilouland, version 2.0. Je n'y ai passé que très peu de temps, tout juste de quoi dormir, et encore. De rencontres en rencontres j’ai tissé un nouveau réseau de connaissances qui n’avaient pas d’a priori sur moi : ça fait du bien, surtout à ma chère paranoïa. J’ai en même temps commencé une vie de débauche qui a vidé mon compte en banque et gonflé mon estime de moi-même. Bourré 6 jours sur 7, de sortie presque aussi souvent, j’ai mis ma vie sociale en avant et relégué les études au second plan. J’ai découvert que je pouvais plaire, et le sentiment incomparable d’avoir l’embarras du choix. Et je me suis aussi rendu compte que j’étais toujours attiré par les femmes, car j’en avais douté. Cette période, que j’appelle avec un brin de nostalgie « ma période salope », aura duré deux mois, environ, car quelqu’un était bien décidé à contrecarrer mes plans de vivre, la première fois de ma vie, dans la plus parfaite insouciance. Et j’ai à nouveau su ce que c’était que d’être aimé sous toutes conditions. Mesdames et messieurs, la gare de Colmar. Lors de votre descente, prenez gare à l’intervalle entre le marchepied et le quai.
C’est lent et laborieux d’écrire, mais je me force. C’est le prix pour expurger toute la frustration de n’avoir pas écrit durant si longtemps.
Je n’ai pas refait mon erreur passée – la fuite devant des sentiments plus grands que les miens – j’ai pris le temps de la réflexion avant de m’engager sérieusement, et le 28 décembre nous étions ensemble. Moi qui rêvais d’un petit ange, me voilà avec un éternel enfant, un petit chat fou. Il n’est pas petit, il n’est pas blond, il n’a pas les yeux bleus. Tant pis. Je me sens bien avec lui, après tout. Même si nous sommes parfois – souvent même – en désaccord niveau musique. Même s’il ne parle presque pas quand ça va pas, et que moi je parle trop. Même si, malgré mes constants efforts, je suis chroniquement bordélique, rongé de procrastination et toujours à la bourre – tout ce qu’il déteste. Finalement c’est vrai : l’amour, ça vient toujours quand on ne s’y attend pas, de préférence au mauvais moment, et de toute façon pas avec quelqu’un à qui l’on s’attendait. Et c’est toujours compliqué ; quand ça ne l’est pas, on se charge nous-mêmes de compliquer les choses. Vie de merde. Mesdames et messieurs, la gare de Mulhouse. Blablabla intervalle blabla quai.
Vite, descendre. Et merde.
Le quai, l’attente. J’ai l’impression de la voir vraiment souvent en ce moment, cette foutue gare de Mulhouse.
Je suis fatigué. Ca, ça n’a pas changé, je suis presque aussi fatigué qu’avant. Je dors un peu mieux, peut-être, mais j’ai besoin de plus de sommeil, et me lever nécessite une force surhumaine, certains jours. Ou devient carrément impossible.
Nouveau train, direction Thann.
Fin avril, j’ai quitté mon 16 mètres carrés miteux pour rejoindre David et Mathias en coloc près de la gare. Et « moi aussi, Foncia m’a eu » (c’est le nouveau groupe Facebook que j’ai rejoint ). Ils ont voulu nous escroquer, ils ont trouvé un motif bidon pour pas nous rendre la caution, l’avocat s’en occupe.
Autre déménagement, aux alentours de Noël, avec ma mère : nous avons acheté une jolie maison ailleurs à Bischwiller, une maison où il fait bon vivre, où on ne sent plus partant le poids de souvenirs douloureux. Le premier Pilouland ne me manque que rarement, sauf que je repense aux innombrables moments passés là-bas entre amis. Je rentre aussi souvent que possible, au moins tous les week-ends. Nous sommes bien, ma mère, ma sœur, mon frère et moi. Le divorce sera bientôt prononcé, enfin.
Pour ma licence de musique, j’ai bossé. Pour celle d’anglais, par contre, j’ai pratiquement arrêté d’aller en cours à partir de la fin du premier semestre. Ca ne me passionnait plus comme en première année – ou plutôt ça ne m’intéressait plus du tout – et surtout je me suis rendu compte que le département d’anglais, et particulièrement notre promo, avait une mentalité pourrie. Sur le plan des réminiscences joyeuses (ou pas), quelques-unes de mes camarades avaient aussi commencé à parler – et écrire – dans mon dos. J’ai déjà eu une terminale, je ne voulais plus revivre ça. Je suis allé aux examens quand même, en révisant avec les cours de Fred et Aline (merci à elles), en mode « ça passe ou ça casse ». Et miracle, c’est passé. Deuxième semestre, idem. J’ai bossé encore plus pour mon semestre de musico, encore moins pour celui d’anglais. Je suis allé aux examens (encore une fois, merci Aline et Fred), cette fois-ci, en mode « ça passe ou j’arrête ». Miracle absolu. Seulement défaillant à quelques options (parce que parfois, je suis un gros flemmard au point que je n’arrive même pas à me motiver à finir un dossier. Procrastination, quand tu nous tiens.). Donc, tant qu’à faire, je termine la licence en anglais aussi. Merci Aline et Fred, et aussi merci aux cours de Mme Jankovic : je crois bien que l’anglais renforcé nous a mis suffisamment à niveau en vocabulaire et en grammaire pour réussir une licence.
Encore une prise de conscience cette année, et pas des moindres : celle de la place de la musique dans ma vie. Je ne me vois plus traducteur, plus prof d’anglais, je ne me rêve même plus docteur en linguistique ou en musicologie : je veux faire de la musique. J’ai donc vécu une année de frustrations intense, où entre la fac, mon boulot de pion au conservatoire, mon couple et ma vie sociale (le premier ayant fait sensiblement diminuer la seconde) ne me laissaient que très peu de temps pour travailler le piano. C’est décidé donc : à la fin de l’année prochaine, je passe l’examen de passerelle pour rentrer en cycle pré-professionnel. Et une année plus tard, je tente le concours d’entrée au Conservatoire d’Amsterdam. Parce que je suis tombé amoureux des Pays-Bas, de ce peuple adorable, de leur langue (eh oui !), de leurs paysages, de ce pays tout entier, parce qu’à Amsterdam je me sens chez moi, parce que je veux changer d’horizons et que c’est là-bas que je suis attiré. Des projets plein la tête, quoi.
Il y a des travaux sur la ligne : à présent c’est un bus que s’enfonce jusqu’au bout de la vallée de la Thur.
Je commence à écrire plus vite, ça fait du bien. Ca fait toujours du bien – en tout cas, à moi, je ne force personne à me lire.
Finalement, je pense que je n’ai jamais été aussi heureux que maintenant : j’ai fini par trouver, dans une certaine mesure, un début de l’équilibre auquel j’aspire. J’ai gardé mes amis, qui deviennent avec le temps de vieux amis. Comme le bon vin, les bonnes amitiés deviennent meilleures à mesure que le temps passe. J’ai aussi fait un tas de nouvelles connaissances et de découvertes, je me suis ouvert l’esprit. J’ai un petit peu moins peur de la vie, il me semble. Peut-être aussi un peu plus confiance en moi, même si mon charisme de salope est retombé comme un soufflé (la confiance en soi attire et en attirant engendre plus de confiance… mais l’inverse est aussi vrai) , il en est resté un petit quelque chose en plus. Un autre genre de confiance.
La boulimie repointe le bout de son nez de temps en temps, mais rien de grave. Une rare petite crise et l’affaire est passée.
La déprime aussi, mais ce ne sont que de vagues réminiscences : la dépression, j’ai sombré dedans, je me suis vautré dedans, puis je m’y suis attaqué : je l’ai massacrée, à coups d’excès en tous genres, je me suis hurlé que je voulais vivre enfin… elle a bel et bien disparu. J’ai commencé une nouvelle vie, débarrassé d’elle.
Certes, c’est pas facile tous les jours de s’aimer… encore heureux. Il n’est jamais bon de trop s’aimer, je pense. Disons que j’ai conclu un cessez-le-feu avec moi-même, on arrive plus ou moins à s’y tenir, et c’est déjà pas mal. Parfois, c’est même l’entente cordiale. Pourvu que ça dure.
Je suis presque arrivé. Il y a deux petites filles qui papotent avec leur maman… c’est adorable. « Les filles sont belles, les garçons à la poubelle ». C’est plein de sagesse une petite fille, parfois. Une drôle d’odeur me rappelle quelque chose. C’est une de ces odeurs nostalgiques, ce parfum de la vallée. J’ai envie de jouer cette sonate de Haydn qui m’obsède.
[lundi 1er septembre]
Retour en train. « Ce train dessert toutes les gares jusqu’à Mulhouse ». Il fait gris à Oderen. Le Markstein a la tête dans les nuages. Elle est magnifique vu du train, cette vallée. Fellering, Wesserling, les gares défilent, on s’arrête et l’on repart. C’est drôle, un voyage de retour, il y a toujours ce drôle de pincement au cœur à l’idée de laisser quelqu’un seul, mêlé à la joie de retrouver d’autres gens à l’arrivée. Et surtout, ce plaisir du voyage, courbes, glissement perpétuel, visions fugaces, paysages filants, il y a quelque chose de sensuel dans ce plaisir-là. On traverse le monde dans une bulle étanche, on est partout sans y être. Saint-Amarin. Bientôt les rattrapages, bientôt l’Espagne, bientôt la rentrée. Tout est mis entre parenthèses le temps du voyage. Je suis présent au monde, et en même temps absent. Moosch. Ca pourrait être un nom néerlandais. Présent un instant, présent ailleurs l’instant d’après. Mes pensées défilent, mon esprit vague à toute allure. Un klaxon de train, c’est d’une poésie infinie, quand on y pense. Il y a des emo-boys même au fin fond de la vallée de la Thur, c’est assez cocasse. Willer-sur-Thur. Je suis arrivé au-delà des mots. Bitschwiller-lès-Thann. Je peine. Je chez mes mots. Le klaxon du train dans la grisaille, c’est une plainte qui serre le cœur. Ca y est, c’est la panne. Plus moyen d’exprimer ce qu’il y a là-dedans. Ca fait un peu mal. Physiquement, vraiment. Comme un accouchement difficile. Thann Nord. C’est vraiment une comparaison pourrie. Je suis un écrivaillon miteux. J’écris ce qui me passe par la tête, enfin j’essaie. Je n’arrive pas à le dire. Simplement parce que je ne sais pas ce qui me passe par la tête. On dit que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, je n’arrive pas à bien concevoir, je n’arrive pas à énoncer. CQFD. Thann. Je ne dirais pas que ça ne va pas bien. C’est un état propre au voyage, un flottement, une certaine désincarnation, au-delà du bien et du mal. Bien et mal, plein et vide à la fois. Je raconte vraiment de la merde, parfois. Le vignoble est quasiment à la verticale ici, ils doivent galérer pour entretenir ça. Vieux-Thann. Les nuages s’effilochent tout doucement. Voilà la plaine d’Alsace. Moins de courbes, plus de vitesse, toujours le flottement, le glissement, la sensation délicieuse de s’enfoncer dans son siège au moindre freinage. Oui, je préfère être assis dans le sens contraire à la marche. D’ailleurs, on voit mieux le paysage comme ça. Cernay. Quand j’y pense, je me regarde assez le nombril pour au moins dix personnes. Désir d’introspection, désir écoeurant d’égoïsme, nécessaire pourtant. Haine latente ? Plus vraiment. Cessez-le-feu, on a dit. Il y a des gens qui ont besoin de se retrouver seul régulièrement. Ca me fait plus peur qu’autre chose. Certes, c’est bon parfois. Mais ça donne vite le vertige. C’est dur de s’oublier soi-même quand on est seul, on est vite tenté de penser à soi. Parfois c’est bon de penser à soi, parfois pas. Mon Dieu, tout ça n’a plus aucun sens. Mais que c’est bon de taper, taper, glisser, flotter, on s’endormirait presque, baigné dans ces sensations et ces sentiments doux-amers. Les nuages commencent à s’effilocher, maintenant. Je suis un éternel indécis. Je voudrais être partout, être de partout, tout posséder, tout connaître, tout embrasser d’un seul regard, d’une seule pensée… et tout à la fois n’être rien, n’être nulle part, ou peut-être immanent à toute chose, présent et absent tout à la fois, n’existant pas à pat entière. Graffenwald. Je dois être taré. J’ai presque envie de rire, tant je me comprends mal. Ca fout les boules, quand même. La solitude c’est vraiment pas pour moi… ou bien ? Qui sait. Pas moi en tout cas. J’ai envie d’arriver, maintenant. Mon petit moment de vertige a assez duré. Lutterbach. Je reviens sur terre. Je vais très bien en fait. C’est juste marrant de se laisser aller, parfois, craquer son slip un bon coup. Point de composteur, point de contrôleur, petit Pilou va se faire rembourser son billet. Le soleil brille, maintenant. Vivement… vivement quelque chose, en tout cas. Mulhouse-Dornach. Le train est quasiment plein, en fait. Dans quelques minutes, Mulhouse – encore un fois – et Fouad, mon petit Franc-Comtois. Puis retour à Strasbourg, avec mon petit chat. Ca y est, mes pieds touchent à nouveau terre.